Alain Helissen nous invite à lire un recueil d‘aphorismes la tête dans les étoiles et les pieds bien sur terre pour comprendre ce qui se passe là-haut sans oublier tout les sottises que nous commettons régulièrement ici bas. Pour nous convaincre, il a choisi de nous faire visiter la partie de l’alphabet qui a été nécessaire à l’écriture de la « Voie Lactée », les huit lettres indispensables pour poser cette expression sur le papier. Il se livre, comme le dit son éditeur, à « une dérive textuelle librement désorganisée », à une variation sur les huit lettres de l’alphabet qu’il a choisi de mettre en évidence, un exercice qui me fait penser aux travaux de Philippe Jaffeux sur l’alphabet et à ce que dit sa biographe Béatrice Machet : « « J’aime à triturer le langage, ce qui me permet de donner la parole à qui ne l’a jamais mais aussi à qui parle une autre langue, qu’elle soit poétique ou étrangère c’est un peu la même chose ». Alain Helissen, lui, prend notre langue mais la détourne habilement pour nous lui faire dire ce que nous n’osons peut-être pas lui faire dire mais surtout ce que nous en voulons pas entendre : notre propre puérilité, nos dérives, nos contradictions, … et toutes les drôleries qui en découlent.
J’ai choisi, le plus subjectivement possible, quelques exemples pour vous faire saliver et vous donner envie de voler dans les étoiles de ce recueil.
L’O de la vOie Lactée
« Optimiser son espérance de vie en renonçant à tous les vices et se tuer accidentellement sur une route qui promettait d’être longue. »
« Opérette n’est qu’une petite opération de rien du tout, pas de quoi en faire tout un Opéra ! »
La Voie Lactée bat de l’ « L »
« Lapider la femme adultère ou bien l’envoyer en pénitence sur la Voie Lactée avec juste 10 dollars en poche et 3 rations de survie. Le choix lui parut cruel. »
« Légalement la Voie Lactée n’est ni une piste cyclable ni une autoroute mais seulement une représentation partielle de l’infini. »
Le « V » de la Voie Lactée
« Vaccin n’arrêtera pas la rage du renard à vouloir s’introduire dans le poulailler. »
« Vieillir en fût de chêne, pas de quoi en faire un tonneau ! »
Pour qui sonne le « A »
« Abri de fortune abrite surtout l’infortune. »
« Aplanir la bosse à Nova pour danser sans risque de culbute. »
La Voie Lactée prend le « T »
« Tanguer dangereusement sur une mer démontée sans avoir la notice pour la remonter. »
« Tarder à mourir peut sauver la vie. »
C son tour
« Cadet de mes soucis, il eut tôt fait de rattraper ses aînés et me colla aux basques jusqu’au bout de la route. »
« Causer c’est remplir le vide de mots vides pour déjouer le néant. »
E aussi veulent vivre
« Eborgner un cyclope par un tir à l’aveugle pour le moins chanceux. »
« Echanger sa collection de timbres-poste contre un char Leclerc Delune récupéré à Maubeuge après la seconde guerre mondiale. »
Point sur le « I »
« Idiot qui croit que l’eau de là est meilleure que l’eau d’ici. »
« Inconnue au firmament, cette étoile attira l’attention en allumant ses feux de détresse. »
Il vaut mieux en rire… mais seulement après avoir vu et revu les illustrations d’Emelyne Duval sans lesquelles ce recueil ne serait pas complet, des dessins naïfs, candides, détournés par un élément incongru qui leur donne air aussi absurde que les commentaires qui accompagnent.
-article de Denis Billamboz, publié sur le blog :
http://mesimpressionsdelecture.unblog.fr
Alain Helissen, Des lettres de la Voie Lactée, dessins d’Emelyne Duval,
Cactus Inébranlable éditions, 2016.
Selon le principe de la liste, mêlant l’humour à la poésie, Alain Helissen a rassemblé dans un recueil d’aphorismes en forme d’abécédaire, les fruits savoureux d’un exercice d’écriture mené à partir des lettres contenues dans l’expression La Voie Lactée. Comme une poignée d’étoiles, quelques lettres ont essaimé entre les pages de ce livre pour former une constellation de mots et de situations insolites dont les définitions lapidaires naviguent entre la dérision décapante et le contre-pied salutaire.
Le lecteur se trouve entraîné dans de multiples détournements, une manière de se saisir du langage, de le retourner comme un gant pour faire fructifier le jeu entre les mots à la lumière des huit lettres retenues pour ces variations. Dans une sorte de dictionnaire de poche aux entrées limitées par la contrainte que se donne l’auteur, chacun trouvera de quoi glaner quelques formules insolites qui bousculent l’entendement ordinaire : « Lactée, telle était la Voie, reconnaissable entre toutes par sa couleur blanche immaculée. / Lister chacune des composantes de la Voie Lactée afin de pouvoir la reconstituer à l’identique, si d’aventure elle venait à disparaître. / Tuer le temps d’une balle en plein front et se dire qu’on n’aura pas le temps de fuir. / Inconnue au firmament, cette étoile attira l’attention en allumant ses feux de détresse. »
Ponctué de rébus dessinés par l’illustratrice Emelyne Duval, en écho avec l’esprit drolatique du livre, ce « curieux abécédaire » ne pourra que ravir les amateurs d’humour décalé et grinçant, véritable culture du second degré qui confère à l’imaginaire d’indéniables qualités plastiques dont témoigne un livre à mettre entre des mains averties.
Alain Fabre-Catalan
Revue Alsacienne de Littérature n°127 – 1er semestre 2017